Un grand et beau cri

L

e héros de Juste la fin du monde revient vers sa famille après des années d’absence pour annoncer sa mort. Cette pièce fut écrite par Jean-Luc Lagarce en 1990, alors qu’il a le SIDA, dont il mourra en 1995.

Louis revient sur la « scène de l’Autre où, dit Lacan, l’homme comme sujet a à se constituer, à prendre place comme celui qui porte la parole »[1]. Mais sur cette scène, dans sa famille, il rencontre les effets dévastateurs de son absence. Au lieu de parler, il écoute chacun de ses proches. Sa sœur souligne la pauvreté de leurs échanges, son frère et sa belle-sœur, les malentendus. Sa mère reste nostalgique du passé. Xavier Dolan, dans son film éponyme, en fait un huis-clos pesant. Ce qui devrait se dire reste en suspens.

Dans la pièce, le final est différent : si Louis parle, se dit étranger, déplore la faillite de l’amour et espère la fin du monde, c’est en s’adressant au public [2]. Voilà la scène pour Lagarce, la scène de l’Autre où il porte la parole.

Puis, il part seul dans la nuit, se livrant au silence et à la solitude du « Un »[3], regrettant de ne pas avoir poussé « un grand et beau cri ». Il n’est plus alors question de parole, mais d’un cri qui serait de l’Art. Cette pièce, serait-elle alors pour Lagarce, ce beau cri, conçu « à partir de l’affect du corps »[4], son piédestal pour se hisser, pour mettre du beau, c’est-à dire selon le signifiant de Lacan, son escabeau[5] ?

[1] Lacan J., Le Séminaire, Livre X, L’Angoisse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 137.

[2] Boussot R., « Les crises dépassent-elles la parole dans Juste la fin du monde de J.-L. Lagarce ? », https://www.mediaclasse.fr/lectures/434

[3] Miller J.-A., « Les prophéties de Lacan », Le Point, le 18 août 2011, https://www.lepoint.fr/debats/jacques-alain-miller-les-propheties-de-lacan-18-08-2011-1366568_2.php.

[4] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Pièces détachées », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 1er décembre 2004, inédit.

[5] Ibid., cours du 17 novembre 2004, inédit.